Les couleurs ont une histoire ... à raconter ! (22/01/2023)

Pigments, historique et symbolique des couleurs

 

Les couleurs sont loin d’être banales. Parfois douces, élégantes, passionnées, parfois agressives, tristes ou ennuyeuses. Les couleurs se trouvent partout dans notre environnement, qu’elles soient naturelles ou artificielles, elles agissent inévitablement sur notre inconscient. L’interprétation et le ressenti vis à vis de celles-ci sont inhérents à une culture et une époque. Les goûts changent, la société évolue, notre lien avec les couleurs reflètent ce flux continu.

Grâce à Michel Pastoureau, historien et spécialiste des couleurs, et son « Petit livre des couleurs« , nous allons pouvoir appréhender notre perception des couleurs sur notre inconscient et notre bagage culturel occidental.


 

 

La couleur bleue est la plus consensuelle de nos jours dans le monde occidental.Le bleu est la couleur la plus répandue actuellement dans notre société

Du bleu jeans au costume des politiques, des sigles de l’Europe et de l’ONU aux brochures de camping de bords de mer, cette couleur se retrouve partout et dans tous les domaines..

Cela n’a pas toujours été le cas.

Le bleu n’existait pas à la préhistoire, inutilisé par les Grecs et Romains car considéré comme couleur des barbares (peuples du nord), alors que c’était une couleur divine pour les Egyptiens. Inemployé à l’Antiquité et au Moyen-âge pour des raisons qui semblent encore floues aux historiens, il faut attendre le XIIe siècle pour que le bleu soit réhabilité. La considération de la couleur étant en lien avec l’évolution des croyances religieuses, le Dieu chrétien devient à cette époque un dieu de lumière, et la lumière la plus éblouissante est la lumière bleue ! Le bleu apparait dès lors dans les enluminures et icônes pour les ciels (autrefois dorés ou rouges) et les drapés des personnages bibliques, notamment la vierge. Il sera utilisé à outrance dans les vitraux et intérieurs d’église afin de faire fuir les ténèbres et sera récupéré par la monarchie puis l’aristocratie. Le bleu ne fait que se répandre au fil du temps, jusqu’à le retrouver aujourd’hui partout et chez tout le monde surtout depuis l’invention du blue jean en 1850. Le jean est bleu uniquement parce que l’indigo était le seul pigment qui pénètre les fibres même lors de teintures à froid.

Selon Michel Pastoureau, le bleu a encore un bel avenir devant lui car c’est une couleur qui fait facilement l’unanimité, elle ne choque pas, a une forte capacité d’adaptation et représente plutôt le calme et la profondeur. Elle est raisonnable, discrète et sans limite.

 

Pigments :

De l’Antiquité au XVIIIe siècle : Bleu égyptien, Azurite, Lapis-lazuli et Indigo

Du XVIIIe siècle à nos jours : Outremer, bleu de Prusse, bleu de Cobalt, Céruléum, Phtalocyanine.

 

 

Le rouge est l’inverse du bleu, il est dans l’adversité, dans la passion, il en impose. Son pouvoir relève de sa duplicité. Le rouge ne laisse jamais indifférent.

 

Historiquement et chromatiquement, le rouge a la réelle suprématie. Les scientifiques diront que c’est la couleur que l’oeil humain détecte le plus facilement, les historiens diront qu’elle est la plus ancienne. Utilisé depuis le paléolithique (-35 000 avant JC), l’ocre rouge se retrouve sur les parois, à l’instar du blanc et du noir. Le rouge a en tout temps été admiré, de ce fait les attributs du pouvoir, de la force lui sont naturellement attribués. Le rouge étant la couleur du feu et du sang, le dieu de la guerre Mars, les soldats Romains, certains prêtres, le communisme, tous sont vêtus ou ornés de rouge. Le feu et le sang peuvent être interprétés positivement comme négativement, cette ambivalence entre le bien et le mal sera cultivée à travers chaque époque.

Pendant l’époque médiévale, plusieurs qualités de pigments rouges existent. Le rouge intense étant associé à la puissance, les couleurs de luxe sont destinées et réservées aux seigneurs. Une césure sociale intervient, les rouges fades ou délavés étant l’apanage du peuple. C’est seulement lors de la Réforme au XVIe siècle que le rouge devient immoral (tout comme les autres couleurs d’ailleurs) et se doit de disparaître de tout bon chrétien. Depuis lors les hommes ne s’habillent plus en rouge. Les catholiques permettent seulement aux femmes de le faire. La dualité se confirme encore une fois dans le fait que le rouge représente les deux aspects de l’amour, le divin et le péché de chair. Les robes de mariée étaient de couleur rouge jusqu’au XIXe siècle, les prostitués se devaient de porter quelque chose de rouge, tout comme la lumière des maisons closes. Cette couleur indique également la fête, le luxe, le spectacle, si présent dans nos cinémas, théâtres et opéras. Au XVIIIe siècle, le drapeau rouge devient de toute évidence de par ses attributs l’emblème des peuples opprimés et de la révolution, de la France à la Chine en passant par la Russie.

 

Pigments  :

Depuis la préhistoire : Ocre rouge

A l’Antiquité : Carmin naturel (Kermes, murex) et cinabre

A partir du  XVIe siècle : Vermillon, laque de garance

A partir du XIXe siècle : Laque d’alizarine, rouge de cadmium, oxyde de fer 

Le blanc, la couleur de l’innocence par excellence envers laquelle nous sommes intransigeant. La pureté du blanc est exigée.

  Les scientifiques ne l’ont longtemps pas considérée comme une couleur, mais les peintres ont toujours affirmé le contraire. A l’instar du rouge et du noir, le blanc fait partie du trio des plus anciennes couleurs. Elle se retrouve sur les peintures rupestres de la préhistoire. Autrefois, l’incolore se définissait par ce qui ne contenait pas de pigment, soit les teintes naturelles des supports (bois, lin, parchemin, pierre,…). C’est seulement à l’apparition de l’imprimerie que le blanc a été confondu avec l’incolore (le papier blanc devenant le support, donc l’incolore). Le blanc est devenu malgré lui la couleur de l’absence : « une page blanche », « une nuit blanche »,  » une balle à blanc », « un chèque en blanc », etc.

 

Contrairement aux autres couleurs, la symbolique de pureté et d’innocence du blanc est universelle. Elle se retrouve dans d’autres cultures en Asie ou en Afrique. La raison à cela ? Peut-être parce que le blanc n’est vraiment blanc que lorsqu’il est pur. Aucune autre couleur n’est aussi uniforme et régulière dans la nature qu’un paysage enneigé. Pas même la mer ou le ciel. Le drapeau blanc de la paix s’oppose au drapeau rouge du combat sur un champ de bataille. Les robes de mariées sont devenues blanches au fil du XVIIIe siècle du fait des exigences chrétiennes concernant la virginité de la promise. Et jusqu’au siècle dernier, tous les sous-vêtements et linges de maison étaient blancs, pour une raison d’hygiène d’une part (lavage dans l’eau bouillante) et pour une raison de pureté d’autre part (le blanc étant assimilé au propre).

Plus pur que le blanc ? Autrefois le doré pour sa brillance, sa luxure, sa délicatesse sa luminosité ; aujourd’hui le bleu, pour la neutralité de sa lumière, et le bleu des glaciers qui sont au-delà de la neige. Associé à la lumière et à certains dogmes issus de l’Immaculé Conception, le blanc est la couleur de l’Au-delà. Comme la représentation que l’on se fait de Dieu, des anges, des fantômes et des revenants. Le blanc est également la couleur de la vieillesse, les cheveux blanchissent. La sagesse, la paix rejoint l’innocence du berceau. Le blanc symbolise le tout, le cycle de la vie.

 

Pigments : 

Depuis la préhistoire : Carbonate de calcium (craie)

Depuis l’Antiquité : Kaolin, blanc de plomb

Depuis le XIXe siècle : Blanc de zinc, Lithopone, blanc de titane

 

 

Le vert est aujourd’hui LA couleur aux multiples bienfaits que l’on applique partout où l’on veut donner une image de nature et de propreté. Mais ce serait une erreur de se fier aux apparence, car le vert a en tout temps été décrié.

Au XVIe siècle, le vert est excentrique, au XVIIIe siècle, le vert est ennuyeux. Cette fourberie de la part de cette couleur provient probablement du fait que la résistance de sa teinte a longtemps été problématique pour les teinturiers. Le vert a beau être partout dans l’environnement, il était difficile de stabiliser le pigment. Les colorants verts se délavaient et s’usaient facilement à la lumière. Le problème a perduré jusqu’à récemment, où une fois encore c’est le vert qui s’efface en premier sur les photographies. La symbolique du vert s’est donc fondée sur cet aspect instable de cette couleur, le vert représente la chance et la malchance, le hasard et le destin. Au Moyen-âge, les jongleurs et chasseurs s’habillaient de vert, depuis le XVIe siècle, le casino vous présente des tapis de jeu verts, tout comme les terrains de sport y compris les tables de ping-pong et certains terrains de tennis et autres jeux de balles. Les jeux d’argent sont associés au vert, la couleur des billets de banque américains ne sont surement pas un hasard…

 

De part cette ambiguïté, le vert inquiète. Son aspect négatif illustre les démons, les dragons, la putréfaction, les monstres, les martiens et autres entités ou passages vers l’inconnu et l’au-delà. Les superstitieux le savent, le vert a tendance à porter malheur. Son assimilation à la pureté, à la fraicheur et à la nature n’est que très récente et purement culturelle. Selon Michel Pastoureau, le vert n’était autrefois (de l’Antiquité jusqu’au Moyen-Age) pas lié à la nature du fait que celle-ci se définissait uniquement par les quatre éléments : le feu, l’air, l’eau et la terre. En occident, il faut attendre l’époque romantique et ce goût certain pour l’orientalisme car il est possible que ce soit l’islam primitif qui ait associé la nature à la couleur verte. De nos jours le vert est devenu à l’instar du blanc symbole de pureté et principalement d’écologie.

 

Pigments :

De l’Antiquité au XIXe siècle : Terre verte, Malachite, Vert-de-gris

A partir du XIXe siècle : Vert de cobalt, Vert de chrome, Oxyde de chrome, Phtalocyanine

 

 

Le jaune est une couleur délicate à manier à cause de sa mauvaise réputation dans le monde occidental. Tandis qu’en Asie le jaune est symbole de pouvoir, de richesse et de sagesse, elle est dans notre société considérée comme le symbole de la trahison et du mensonge.

Cette mauvaise connotation remonterait à l’époque médiévale lorsque l’or surpassait le jaune. L’or étant utilisé pour la lumière, la chaleur, la divinité et la puissance, le jaune paraissait par conséquent terne, triste, mate, voir maladif. De mal en pis, il est devenu le symbole de l’infamie et de l’ostracisme à travers le temps (les vêtements jaunes de Judas et l’étoile jaune des juifs).

Le jaune a eu pourtant un bon départ. Cette couleur prédomine dans les peintures et mosaïques de l’Antiquité grecques et romaines. Mais pour le plus grand mystère des historiens, le christianisme a déprécié le jaune dès le XIIe siècle et ce jusqu’aux Impressionnistes sept siècles plus tard. Le jaune devient à partir du XIXe siècle une couleur indispensable aux artistes modernes qui l’utilisent sans modération, et le jaune reprend peu à peu la place qui lui revient. L’or étant relégué au rang d’exception et de luxe, la jaune est de nos jours la couleur du soleil, de l’été, de la gaieté et de l’énergie (l’orangé lui étant sa nouvelle concurrente). Bien que certaines expressions négatives perdurent comme « rire jaune », « avoir le teint jaune »(signe de maladie), cette couleur mérite d’être d’avantage exploitée. Les stylistes et sponsors sportifs semblent l’avoir compris.

 

Pigments :

Depuis la préhistoire : Ocre jaune

De la préhistoire à la Renaissance : Orpiment, Litharge

De la Renaissance au XVIIIe siècle : Jaune de plomb, stil de grain

Du XVIIIe à nos jours : Jaune de Naples, Jaune Indien, Jaune de Chrome, Auréoline, Jaune de cadmium

 

 

Avec le noir c’est tout ou rien, du deuil à l’élégance, du luxe à l’austérité..

 

Le noir dans notre monde occidental représente le péché, le morbide, l’enfer par ses origines bibliques, l’autorité depuis la Réforme, et enfin le luxe et l’élégance de nos joursCe n’est réellement qu’à la fin du Moyen-âge que la couleur noire est utilisée en quantité relativement importante, avant cela le noir pur et résistant était difficile et onéreux à obtenir car provenant d’ivoire calciné. La Réforme et son éthique de l’austérité a cessé l’utilisation de couleurs vives datant du Moyen-âge, les tons sombres sont devenus largement dominants, le noir est devenu peu à peu la couleur des réformateurs et des princes de la Renaissance. Au XIXe siècle avec l’arrivée des pigments de synthèse, le noir s’est généralisé et démocratisé. Arbitres, policiers, juges, ecclésiastiques, magistrats, les chefs d’état et pompiers (qui sont récemment passés au bleu foncé), toutes ces figures d’autorité sont en noir. Si le noir est également la couleur du deuil, c’est qu’elle est assimilée en tous temps à la terre, le défunt retourne à la terre ou devient cendre. Alors qu’en Asie le deuil se porte en blanc car le défunt rejoint la lumière divine. Le binôme blanc/noir n’a pas toujours été un contraste évident, autrefois c’est le rouge qui faisait face au noir. Ce contraste perdure encore dans certains pays d’Asie et d’Orient. C’est à la Renaissance en Europe que le blanc est devenu l’opposé du noir, la lumière face à l’obscurité. Phénomène accru lors de l’arrivée de l’imprimerie et de son écriture noir sur blanc.

 

Pigments :

A partir de la Préhistoire : Charbon de bois (fusain), Noir d’ivoire (véritable), Noir d’os 

A partir de l’Antiquité : Noir de fumée

A partir du Moyen-âge : Graphite

A partir du XIXe siècle : Noir d’ivoire synthétique, Noir de carbone

 

La considération des couleurs d’un côté et du noir et blanc de l’autre est moderne. Cette séparation relève des procédés photographiques, du cinéma et de la télévision qui nous ont familiarisé à cette dualité entre le monde en couleurs et le monde bichrome. Attention ! Car cette distinction est purement culturelle et relève de codes envers lesquels la société nous a habitué. Il est scientifiquement reconnu que le contraste noir/blanc n’est pas plus efficace que jaune/violet, brun/gris, jaune/rouge ou encore noir/jaune. Si ce contraste perdure, c’est qu’inconsciemment il est gage de sérieux. Un bâtiment officiel risquerait d’être dévalué s’il était peint avec de multiples couleurs. Les couleurs au siècle dernier sont perçues comme transgressives. La libération des moeurs fait exploser la couleur à tous les niveaux, les vêtements, l’automobile, la décoration ainsi qu’à travers la technologie avec l’apparition de la télévision couleur notamment. Alors que la liberté et la gaieté sont aujourd’hui assimilées aux couleurs, la sobriété et l’élégance sont représentées par le duo noir/blanc.

Pendant l’Antiquité, seulement 6 couleurs étaient répertoriées. De nos jours nous nous perdons dans l’infinie variation des teintes au point de ne plus savoir les nommer… Bien que de nouvelles nuances apparaissent sans cesse, nous restons naturellement et instinctivement sur l’idée des 6 couleurs de base, 8 si l’on ajoute l’orange et le violet.

 

Ouvrages de référence :

Michel PASTOUREAU le petit livre des couleurs 

Jean PETIT des liants ... édition EDEC

Source : http://techniquedepeinture.com/categorie/grands-principes/

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